27 septembre 2010

Les petits hollandais n’ont peur de rien

Les petits hollandais n’ont peur de rien.
Et quand on a six, huit ans, on rêve d’être aussi fort que les petits hollandais avec lesquels on nage, sur le bord du lac profond.

Sans titre par  tech no logic
Parce que rien ne pouvait arriver de mal, mon père nous avait laissé jouer avec une planche en bois, en nous surveillant d’un œil, l’autre concentré sur son bouchon de canne à pêche.

C’était à mon tour d’aller chercher la planche.
Qui était très loin.
Mais je ne comprenais pas le hollandais.
Si ça avait été le cas, j’aurais entendu les avertissements de mes petits camarades, et je n’aurais même pas essayé.

Je me souviens juste de la panique.
L’immense panique et le sentiment d’être seul au monde quand j’ai réalisé qu’il n’y avait plus rien sous mes pieds.
J’essayais de lever les bras pour avertir quelqu’un, mais plus je m’agitais plus je sentais mon corps s’enfoncer et fondre dans l’eau.
Quant à crier, je savais instinctivement que ce n’était pas une bonne idée.
D’abord à cause de l’eau, froide, épaisse, que je commençais à avaler par goulées de plus en plus grandes.
Ensuite parceque moi, le hollandais, je ne savais pas le parler.

Ma dernière image avant le grand noir fut celle de mon père, qui regardait dans ma direction.

La suivante fut celle d’un pompier, dans un camion qui roulait très vite, qui me regardait en disant quelque chose.
Quelque chose que je ne comprenais pas.
Ca devait être du hollandais...

12 septembre 2010

C’était la première guerre du Golfe, à la télé

C’était la première guerre du Golfe, à la télé.

Mais la télé appelait ça seulement "La guerre du Golfe", parce qu'on ne savait pas encore qu’il y en aurait d’autres.
Mais on savait que c'était grave : PPDA était sur le terrain, Claire Chazal avait des cernes, Jean-Pierre Pernaut n'en finissait plus d'être impressionné par les missiles guidés au laser...


retrouver ce média sur www.ina.fr

La télé avait le chic pour nous foutre la trouille. "Surtout, ne vous précipitez pas dans les magasins afin de faire des réserves ! ».
Dans l’heure, le riz, l’eau et les biscuits secs avaient totalement disparu des rayons.

C’était comme si les armées de Saddam Hussein allaient déferler sur la place principale de ma petite ville coincée au milieu des Hautes-Alpes et envahir le Monoprix.
On entendait déjà le bruit des bottes qui venaient nous retirer les biscuits de la bouche, et nous envoyer faire notre service militaire obligatoire sous les palmiers koweïtiens en feu.

Nous avions peur.
Nous avions succombé, tous ensemble, à une peur irrationnelle.
Et chaque soir, au journal de 20 heures, nous cherchions des raisons d'avoir un peu plus peur...

Les gens ont oublié, aujourd’hui.
Nous en rions, aujourd’hui.
Le souvenir s’est atténué, remplacé par d’autres peurs, d'autres présentateurs, d'autres 20 heures.

Mais moi, je n’ai pas oublié…
Parce que j’adorais les biscuits secs, moi !

Et je considère que PPDA, Chazal et Pernaut me doivent toujours ceux que je n'ai pas mangé à l'époque...

10 septembre 2010

C’est fou comme on s’accroche à ses superstitions.

C’est fou comme on s’accroche à ses superstitions.
Pendant longtemps, j’ai refusé de mettre des manches courtes, des jeans bleus, des cravates, des baskets.
Je n’inversais pas les chaussures au pied du lit. La gauche à gauche, la droite à droite. Malheur malheur, sinon...

Je suivais du regard les oiseaux dans le ciel. Je détestais quand ils allaient vers l’ouest (et je déteste toujours).

J’adorais entendre mon oreille droite sonner. Bon signe.
Mais pas l’oreille gauche. Mauvais signe, mauvais mauvais signe.

Je ne laissais jamais jamais une pièce de un centime par terre… ou alors, il fallait qu’elle soit vraiment sale.
Auquel cas, ça aurait été mauvais de la ramasser.

"Lock Thirteen" par David Bleasdale
Ecraser volontairement un insecte me rendait coupable à l’infini, et demander pardon n’arrangeait rien.
Et dans mon esprit de dix ans, si je ne répétais pas dix "Notre Père" et dix "Je vous salue Marie" chaque soir, avant d’aller me coucher (mais avec attention et dévotion, sinon ça ne compte pas, et il faut tout recommencer), je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même lorsque les calamités commenceraient à s’abattre.
Et j'imaginais le pire : morts, accidents, jouets qui se mettent à parler la nuit, nuées de piafs volant vers l'ouest...

Tout ça est passé, maintenant. Je vis dangereusement.
Je laisse les pigeons voler comme ils veulent, et je ne me soucie plus de la Sainte Famille avant d’embrasser Morphée.
Il m’arrive bien, de temps en temps, de chuchoter le nom de Marie dans mon sommeil... mais c’est aussi le nom de ma compagne, donc ça ne compte pas pour une superstition...


A moins que…
Je vais quand même jeter un oeil à mes chaussures...
On ne sait jamais...

07 septembre 2010

Ce n’était plus tout à fait ma ville

Ce n’était plus tout à fait ma ville.
Les platanes étaient toujours à la même place, les lampadaires étaient toujours fatigués. Ils transpiraient toujours la même lumière triste en automne.

Les pavés des rues n’étaient plus pareils, mais conduisaient tous aux mêmes cafés ternes où les vieux se posaient pour regarder leur ballon de blanc et penser aux misères d’hier.

Cafeteria boys par Mait Jüriado sur Flickr
J’avais l’habitude de me poser dans l’un de ces troquets, le plus gris, en général. Je demandais un café, un Perrier, et j’installais un jeu de dames devant moi.
Au bout de quelques minutes et quelques moqueries, un vieux, pas trop éméché, venait s’asseoir en face de moi. C’est trop triste, de jouer seul, non ?

Je le laissais gagner. Pas parce qu’il jouait mieux, pas pour faire une autre partie, pas même par pitié.
Mais parce que c’était le seul moyen qu’il me parle un peu de lui.

Aujourd’hui, je suis revenu en ville.

Mais aucun vieux n’est venu jouer avec moi.